Au temps des lessiveuses

Elise Laplace, institutrice à partir des années 1940 à Saint-Etienne et dans les alentours, raconte son enfance.

Je vous parle d'un temps où l'on ignorait la machine à laver. C'est après 1950 que des associations,  féminines souvent, ont acheté les premières machines Hoover et les ont fait circuler de foyer en foyer.

Comment s'y prenaient nos aïeules pour laver le linge?

Le petit lavage rapide, au quotidien, lui-même, était plus malaisé qu'il ne l'est aujourd'hui : pas de salle d'eau, pas d'eau chaude courante. On lavait dans une bassine, dans un évier étriqué, avec de l'eau puisée avec une poche à eau dans la bouillotte du fourneau.

Heureux si l'on ne devait pas, en l'absence d'eau froide courante, aller à la fontaine remplir des cruches d'eau quotidiennement. Peu de tissus synthétiques pour abréger la durée des opérations, même si on parlait de soie artificielle : rayonne, viscose, fibranne. Les textiles courants étaient le coton, le lin, le chanvre, la laine. La soie naturelle trop chère était peu utilisée.

C'est en 1944 que, pour la première fois, j'ai vu du nylon. Il nous avait été apporté, sous la forme d'un pan de parachute blanc (lâché avec des munitions pour la Résistance par des avions anglais) par un ami maquisard. Je fus sûrement une des premières à porter un foulard en nylon, taillé par ma mère dans le-dit parachute.

Les premiers bas nylon arrivèrent des Etats-Unis en 1946, cadeaux de citoyens américains à leur famille stéphanoise.

De 1940 à 1944, un autre problème fut le savon. Rationné, il était délivré contre ticket. Ma mère fut heureuse de trouver, à Saint-Just-Saint-Rambert, un ersatz sous forme de pâte blanche gélatineuse vendue en seaux. On parlait de "Persil" (perborate de silicate) : "Persil lave tout, tout seul" mais les ménagères s'en méfiaient :"ça doit user le linge!" Sans doute était-il, lui aussi, rationné!

Mais arrivait le grand jour, une fois par semaine ou par quinzaine, celui de la lessive. Après le triage on procédait au trempage ou essangeage du "blanc" : draps, torchons etc., puis venait l'ébullition avec le détergent ou le savon dans la lessiveuse sur le fourneau de la cuisine. Cette dernière opération terminée, on allait décrasser puis rincer le linge à la buanderie. Celle où se rendait ma mère avait été créée au 118 rue de Roanne (plus tard Bergson) par la famille Wirtz.

Le bassin était partagé en deux, le plus petit, où arrivait l'eau courante (aïe, aïe les mains durant l'hiver) était dédié au rinçage précédé d'un décrassage dans le grand bassin, bassin alimenté par l'eau venue du petit bassin.

Un grand pré (devenu lotissement) en partie occupé par des étendages, complétait l'ensemble. Il fallait traverser la rue pour s'y rendre. C'est vers la buanderie que, balle (grande corbeille en osier à deux poignées) appuyée sur la hanche se dirigeaient les laveurs. Parmi elles, il y avait celles qui "faisaient des balles pour le monde".

Dans la buanderie, un élément important : la chaudière, dans laquelle le buandier faisait bouillir quelques lessives et qui fournissait l'eau chaude vendue au seau. Sitôt arrivées, leur place réglée, les laveuses s'installaient autour du bassin agenouillées dans des "caisses" à trois côtés, un "benon" dans lequel elles mettaient le linge bouilli à côté d'elles.

Savons, brosses et battoirs entraient alors en action. Les pièces, une fois lavées, étaient suspendues pour finir de s'égoutter sur des perches fixées au dessus du bassin. Le rinçage effectué, en route pour la dernière opération dans le pré. On étalait dans l'herbe les pièces tâchées. Tout au long de la journée il fallait les asperger avec de l'eau savonneuse.

Sous l'influence de l'herbe, du soleil, du savon, de l'air, les tâches disparaissaient. Le reste du linge était suspendu aux fils des étendages, maintenu par des pinces de bois assemblées par les détenus de la prison de Bizillon. Le linge une fois sec était "levé", prêt pour le repassage. Notez que jamais une seule pièce n'a disparu du pré en libre accès.